PIERRE CHARVET
PIERRE CHARVET
Novasto est un remake de Manhattan, une de mes plus anciennes partitions, pour saxophone et bande magnétique. Depuis plusieurs années, j’ai pris l’habitude d’incorporer des éléments de cette ancienne pièce
dans chacune de mes nouvelles œuvres. Quand Michel Supéra m’a sollicité pour composer une nouvelle pièce pour saxophone et électronique, j’ai saisi cette occasionpour véritablement revisiter Manhattan, et me repencher, à 43 ans, sur le compositeur de 15 ans que je fus.
Le titre, Novasto, fait référence à trois éléments, à Manhattan, à la maison de mon enfance, la Villa Marguerite, et à la Pologne de Michel Supéra, lieu où fut créé Novasto en mai 2011.
Création par Kate Combault (chant et récit), Arnaud Lehman (violon), Eric Fonteny (violoncelle), Christine Fonlupt (piano).
Plusieurs dizaines de représentations, à travers toute la France, tournée JMF 2010-2011, avec également Yves Laurent Taccola, Pascale Jaupard et Valéria Altaver.
J’ai composé And it was done à la demande du flûtiste Gionata Sgambaro. C’est une œuvre dont le matériau musical provient, comme toujours dans ma musique, d’une œuvre précédente, And Death (pour alto et électronique).
Mais si And Death était excessivement sombre, And it was done l’est beaucoup moins, à l’image je l’espère d’une trajectoire vers l’apaisement et la lumière.
Le titre And it was done (« et ce fut terminé ») est une phrase très brève, littéralement entendue à l’électronique au milieu de la pièce, dont les contours mélodiques et rythmiques, repris à la flûte, deviennent musique.
Extrait d’une lettre de Pierre à Ba Banga : « Mon but, ce n’est pas de t’amener vers un langage musical où tu ne serais pas à l’aise (je veux au contraire que tu aies du plaisir à jouer ma pièce), ni que moi-même aille vers des modes d’expressions qui ne sont pas les miens. Ce que je veux, c’est trouver un champ d’expression qui ne soit pas un lieu de dissolution de nos cultures respectives (comme parfois lorsqu’on décide artificiellement de mélanger des musiques de différents univers) mais au contraire, que nos musiques s’enrichissent mutuellement sans se renier elle-mêmes. En bref, que cette “confrontation” soit avant tout fertile et lumineuse ! »
Notre de programme du concert de la création :
J’ai composé Stella Maris avec deux choses à l’esprit. D’abord essayer de restituer en musique l’univers du poème que j’avais choisi : Annonciation (Frédéric Jacques Temple, Acte Sud éd.). Il se trouve que je connais bien l’auteur puisqu’il m’a élevé. La fenêtre de la chambre de mon enfance donnait sur l’église dans laquelle il a chanté le grégorien dans les années 1920. Cette musique a certainement contribué, entre autre, à former sa sensibilité. Certaines des lignes mélodiques que j’ai écrite vont donc plonger vers ces racines de notre musique, et même parfois plus avant, puisque c’est de certains chant ancestraux des synagogues que je me suis également inspiré.
J’avais aussi pour préoccupation de composer une musique qui fonctionne acoustiquement avec le lieu de la célébration de l’anniversaire du chœur de Claire Marchand, commanditaire de cette œuvre.
Souvent, lorsque j’écoute de la musique dans une église, je suis gêné par le fait que les harmonies souhaitées par les compositeurs sont altérées par les résonnances du lieu. Stella Maris est donc un morceau dont les harmonies évoluent lentement, afin que vous puissiez bien les entendre dans l’Eglise des Billettes !
Je remercie Inés Sastre pour avoir prêté sa voix parlée à Stella Maris.
Regardez-le ! est nommée ainsi en référence à une phrase de Philippe Caubère tirée d’un de ses spectacles appelé Les enfants du soleil. À la fin de cette phrase, dans son spectacle, le début de la Passion selon St-Matthieu retentit, dans un moment particulièrement dramatique et émouvant. L’idée m’est alors venue de voler cette phrase, avec son autorisation bien sûr, et de me substituer à Jean-Sébastien Bach (dans un moment d’orgueil et d’égarement).
Même si ce moment n’est plus si significatif une fois ma pièce achevée, c’est grâce à cela qu’elle existe. En effet Regardez le ! possède maintenant quatre parties distinctes, qui forment presque le squelette d’une structure de symphonie « classique ».
« Le premier mouvement de Regardez-le ! ne comporte pas de réelle structure thématique mais constitue plutôt une résonance émotionnelle de la phrase de Philippe Caubère. L’orchestre en fusion avec l’ordinateur autour d’un seul accord mineur et de l’unisson, construit, par des dynamiques paroxystiques, la dramatisation d’un univers intérieur.
Le deuxième mouvement en revanche, s’apparente, par son caractère ironique et son tempo vif, au scherzo d’une symphonie classique. Mais là s’arrête la référence à la tradition symphonique. Dans cette pièce, l’orchestre joue le rôle « d’un bruiteur de jeu vidéo », selon les mots du compositeur. Afin d’atteindre ce résultat, Pierre Charvet n’a pas utilisé les effets sonores ou bruiteux habituels dans la musique contemporaine, mais il s’est livré à une observation scrupuleuse et attentive d’un jeu particulier qu’il avait entendu dans son adolescence. Glissandi, notes répétées, sons résultants, s’y associent pour brouiller les repères et imbriquer l’orchestre et la machine.
Le troisième mouvement de Regardez-le ! peut être rapproché de Different trains, œuvre dans laquelle Steve Reich avait calqué son écriture instrumentale sur le rythme et les hauteurs de paroles enregistrées. Ici, Pierre Charvet a poussé plus loin le procédé en construisant l’écriture orchestrale, non pas sur les hauteurs d’une voix, mais sur une analyse spectrale réalisée par l’ordinateur. La symbiose ainsi réalisée entre la voix enregistrée et l’orchestre, plonge l’auditeur dans une confusion de la perception auditive, quasi onirique.
C’est le rythme qui prime dans le dernier mouvement. Le compositeur n’a pas privilégié la complexité formelle de l’écriture rythmique mais l’inscription corporelle de la pulsation. A ce sujet il n’hésite pas à employer le terme de « groove » faisant ainsi allusion aux musiques populaires qu’il découvrit lors de son séjour new-yorkais. Mais plus qu’aux musiques dites actuelles, l’enracinement rythmique présent dans ce mouvement fait surtout référence à la culture et à la musique de l’Afrique centrale avec lesquelles Pierre Charvet entretient une relation privilégiée depuis de nombreuses années.
Même si les réalités sociales ou politiques de notre monde ont souvent inspiré les compositeurs de musique contemporaine, le quotidien de notre environnement sonore a presque toujours été négligé. En rupture avec cette tendance, Pierre Charvet utilise comme matériaux dans sa composition, des sonneries, des bruitages, des échos de musique de film ou de musiques dites actuelles, évitant ainsi l’éther d’une esthétique autonome. Regardez-le ! ne doit pourtant pas être entendu comme une simple mimésis de notre monde moderne. Le réel y est transcendé par le travail formel du compositeur qui organise et combine l’ordinateur et l’orchestre en fonction de leur spectre harmonique, poursuivant ainsi la voix ouverte par des créateurs comme Gérard Grisey ou Tristan Murail. Cette métamorphose du quotidien par des recherches formelles est mise au service de la théâtralisation exacerbée d’un univers intérieur, inspirée par le jeu et la création de Philippe Caubère. » (Jean-Luc Tamby).
Regardez-le ! a été composé à l’intention des Siècles et de leur chef François-Xavier Roth. Je remercie Philippe Caubère, Billie Lee Hart et Michael Abramovich pour avoir prêté leur voix, et Gérard Assayag, de l’Ircam, pour son expertise scientifique.
Après avoir été inspirée par Philippe Caubère, Regardez-le ! a été utilisé par le même Philippe Caubère comme musique de L’épilogue à l’homme qui danse, dernier volet de son œuvre monumentale.
Cette pièce utilise un des tout premiers thèmes que j’ai composé, et qui a jalonné toute ma vie. On le retrouve sous différentes formes de manière récurrente dans ma musique : Untitled autour de 1983, Manhattan en 1986, The same spot en 1991, Qohelet en 1993, et Chant de mort (musique de film) en 2000.
J’ai écrit la musique de La chasse infinie en voulant concilier trois univers différents quoique tous “méditerranéens” : celui du poète Frédéric Jacques Temple, celui des chanteurs corses d’ “A Filetta”, et le mien.
En art et en musique en particulier, j’ai toujours pensé qu’il était plus facile d’être grave que léger.
Comme son titre l’indique, And Death est pourtant une pièce grave.
Vladimir Nabokov, qui est le créateur non musicien qui a sans doute le plus contribué à former mon goût et ma manière de penser, était génialement doué pour le bonheur. À la question « qu’est ce qui vous surprend dans la vie ? », il avait répondu : « le prodige de la conscience, cette fenêtre qui s’ouvre brusquement sur un paysage ensoleillé au milieu de la nuit du non être ».
Comme je suis encore loin d’avoir atteint la sérénité du grand Vladimir, And Death est une pièce sur les horreurs et tourments de la conscience et de la nuit du non être.
Son titre est emprunté aux premiers mots du poème de Dylan Thomas « And death shall have no dominion ».
Cette partition -de circonstance- a été écrite en 2004, à la demande du chef François-Xavier Roth et de son orchestre Les Siècles, pour un concert organisé au bénéfice des victimes d’une tragédie de l’actualité récente. Cette pièce s’appelle Copla en référence aux anciens chants judéo-espagnols dont s’inspire le thème de violoncelle qui débute et clôt la pièce ; mais aussi pour évoquer le mot coplanaire, sur un même plan, dans le même monde.
Composer une pièce qui rend hommage aux victimes d’une tragédie est quelque chose de très délicat, en ce sens qu’on ne veut pas émouvoir “à bon compte”. Il serait tout aussi déplacé d’être exubérant. La voie est étroite, le temps compté, et ceci explique le choix d’un langage d’une grande simplicité, parfois tonal, ce qui n’est pas forcément mon registre habituel.
L’utilisation des outils informatiques et leur alliage avec les instruments traditionnels font en revanche partie de mon langage. Ainsi dans la partie centrale de Copla, les cordes fusionnent mélodiquement, harmoniquement puis “spectralement ” avec diverses voixhumaines transformées grâce aux outils informatiques. J’espère qu’à l’audition, ce que l’on retiendra de cette musique est son humilité.
Cette pièce a été écrite à l’occasion des 80 ans du poète Frédéric Jacques Temple.
Elle me semble contenir de manière elliptique certains des thèmes qui lui sont chers : le chant grégorien qu’il a pratiqué enfant (le contour mélodique), la fascination pour les ailleurs (les rythmes rituels).
L’intervalle principal de la pièce (Ré-La) fait référence à l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, oeuvre que j’ai découverte durant ma petite enfance, lors du spectacle de Jacques Bioulès basé sur un cycle de poèmes écrit par Frédéric Jacques Temple intitulé “Dix poèmes pour l’Art de la fugue” (Éditions de l’Arbre).
s outils informatiques utilisés ont été volontairement nombreux : traitement divers de sons de piano et autres, synthèse additive, F.M., par modèle physique, etc. Ainsi, la partie électroacoustique de la musique n’est pas liée à une technique trop spécifique, et fait preuve, j’espère, d’une grande liberté dans un cadre pourtant formel.
L’invitation au voyage, tout comme Brandenburg, est une pièce “américaine”. D’abord parce que l’on peut – malgré la présence des nouvelles technologies – la faire jouer facilement sans le support d’une institution musicale à l’européenne. Enfin parce que c’est l’éloignement d’avec ma langue natale, qui est à la genèse de la pièce. Du fait de l’exil, s’est créé en moi un sentiment de nostalgie pour la langue française ; ce n’est qu’après en avoir été “privé” que j’ai aimé ma langue.
Harmoniquement, cette pièce possède une certaine transparence, une sérénité, tout ce que j’éprouvais face aux peintures de Georges De La Tour, qui me semblaient alors si “françaises” et dont je me sentais enfin, et pour la première fois, si proche.
Brandenburg, pièce écrite pour violon solo et ordinateur, est un double hommage : à la musique pour violon de Johann-Sebastian Bach, et à l’Offertorium de Sofia Goubaïdoulina qui est lui même déjà un hommage à ce compositeur.
La partie informatique est réalisée non seulement à partir de sons réels de violons transformés sur ordinateur (notamment de mon quatuor à cordes), mais aussi de sons de cordes virtuels, un violon avec des cordes en or par exemple, grâce à la synthèse sonore par modèle physique, découverte avec ma pièce Qohelet.
Qohelet, l’Ecclésiaste en hébreu, est le livre qui m’a le plus fasciné dans ma lecture tardive de la Bible. Pour ma pièce, j’ai utilisé une traduction américaine et celle de Chouraqui où fumée de fumées, tout est fumée remplace le fameux vanité de vanités, tout est vanité.
Chouraqui pour qui le mot fumée semble mieux traduire le “habel” hébreu (à mon sens on perd quand même la poésie et le rythme de vanité), souligne que le mot vanité prête à confusion. Ce qui est vain est ce qui est sans valeur et parler de vanité implique un jugement de valeur. Or le mot “habel”, est particulièrement concret. Qohelet ne porte pas de jugement de valeur sur le réel, il dresse un constat : tout est fumée. La pensée de l’Ecclesiaste est donc beaucoup plus métaphysique que moralisante. Je n’en dirai pas plus sur Qohelet car les jeux intellectuels de ses commentateurs sont souvent, eux aussi, fumée !
Ma pièce, en trois parties, est écrite pour mezzo, percussion et électronique.
Bien qu’ayant favorisé, dans mon travail de création des sons, la synthèse par modèle physique, j’ai également utilisé tous les programmes existant à l’Ircam , aussi bien que des programmes commerciaux. Ainsi je n’ai jamais été lié à un type de synthèse où d’assistance informatique quelconque, mais au contraire, j’ai pu choisir pour chaque aspect de ma pièce, la solution qui puisse, au plus près, servir ma pensée musicale.
Fragments du manuscrit de Ardis, pour orchestre. Montpellier-New York, 1988.
Fragments du manuscrit du sextuor pour cordes et percussions. New York, 1989.