Pierre Charvet | Écoutez-le !
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PIERRE CHARVET

Pierre Charvet ? Écoutez-le !
23 Février 2009

 

«Regardez-le» : tel est le titre d’une pièce de Pierre Charvet qui sera jouée le 7 mars, dans le cadre du festival Présences, par l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de François-Xavier Roth.

 

Pierre Charvet, comment êtes-vous devenu musicien ?
Vers cinq ou six ans, j’ai voulu devenir compositeur. J’ai toujours eu le soutien et la bienveillance de mon environnement familial, ce qui est suffisamment rare pour être noté. Mes premiers disques ? Dinu Lipatti, la collection des Petits Ménestrels (Bach, Mozart, Beethoven). Je me souviens aussi d’un spectacle monté sur des poèmes écrits par mon beau-père d’après L’Art de la fugue. Quand je jette un coup d’œil sur ce que j’ai fait depuis cette époque, je me rends compte que j’ai toujours été placé dans des situations de précocité étonnantes : j’ai reçu ma première commande de l’Ircam trois mois après y être entré, j’ai été nommé professeur de composition à la Manhattan School of Music à l’âge de vingt-six ans. En même temps, j’ai toujours jugé qu’il s’agissait là d’erreurs de jugement sur ce que j’étais profondément !

 

Professeur de composition à New York ? Quelle aventure !
Je suis parti pour New York l’année de mon bac, et j’ai été accepté en tant qu’élève à la Manhattan School of Music. La Juilliard School est plus riche et a un département danse et théâtre important, mais n’a pas de département jazz, contrairement à la Manhattan School où il est possible également d’étudier les nouvelles technologies. J’ai quitté la Manhattan School en tant qu’étudiant en 1991, puis j’ai passé trois ans à l’Ircam. J’y ai travaillé avec Tristan Murail et Philippe Manoury, j’y ai aussi rencontré Fausto Romitelli, compositeur trop tôt disparu. Il y a eu la commande dont je vous ai parlé (une partition pour un dessin animé en images de synthèse), puis d’autres commandes, enfin ma nomination à la Manhattan School, cette fois en tant que professeur. J’y enseignais aussi l’analyse, j’avais un cours sur L’Art de la fugue et je m’occupais du studio des nouvelles technologies. Mais j’avais envie de revenir, je me sentais français en Amérique et Ircamien à New York ! Il est presque impossible d’être compositeur de musique dite contemporaine aux États-Unis, sauf au sein d’îlots artificiels. Je voulais trouver un environnement qui soit favorable à la musique, mais la réalité est ce qu’elle est : j’ai démissionné de la Manhattan School en 2001, mais une fois revenu en France j’ai dû signer un contrat chez Universal pour faire des musiques de film qui m’ont permis de vivre, ce qui a aussi contribué à me marginaliser.

 

Faire de la musique de film, c’est parfois bien ingrat sur le plan artistique…
De nombreux compositeurs aimeraient faire de la musique de film, je le sais, moi ça ne m’intéresse pas. Ce que je veux, c’est être un architecte du temps alors que la musique de film est au service du temps et de l’univers de quelqu’un d’autre. Ce qui m’intéresse, également, c’est transmettre. Aujourd’hui, le fait d’avoir une émission sur France 2, Presto*, avec François-Xavier Roth, et un rendez-vous quotidien sur France Musique**, me ravit, même si ces deux occupations prennent beaucoup de mon temps.

 

Avez-vous beaucoup composé ?
Non, j’ai très peu écrit, j’ai été peu joué, je n’appartiens à aucun cercle. A quarante ans, j’ai l’impression que ma vie commence, que je serai désormais en accord avec moi-même. Après tout, Rameau a écrit tout ses opéras après cinquante ans !

 

Comment avez-vous été amené à écrire une œuvre comme Regardez-le ?
Le chef d’orchestre François-Xavier Roth, que j’ai rencontré à la faveur de l’émission Presto, s’est intéressé à ma musique, m’a encouragé, m’a joué avec son orchestre Les Siècles. Regardez-le est né de cette rencontre et de mon admiration pour le comédien et dramaturge Philippe Caubère, qui a plus été pour moi un maître que les compositeurs ou les professeurs que j’ai pu rencontrer. Caubère, c’est quelqu’un dont l’œuvre, foisonnante, réinvente la complexité de la réalité tout en restant facile d’accès. Tolstoï est grand, disait Nabokov, parce qu’il invente une illusion de la réalité. Au tout début, j’ai trouvé un prétexte pour le rencontrer grâce à une émission que je devais produire sur France Culture. Je lui téléphone, tout ému. Et Caubère de me dire : «Vous êtes Pierre Charvet, le compositeur ? J’essaye de mettre votre musique sur ma prochaine pièce…» Vous imaginez ma surprise, ma joie ! Un disque de mes œuvres était paru chez Universal, comprenant notamment Invitation au voyage, et Philippe Caubère avait tout simplement écouté sur France Musique une émission qui avait diffusé ce disque. Une émission où, comme il le dit plaisamment, on diffuse les musiques qui devraient être interdites par le gouvernement ! Il avait acheté le disque dès le lendemain et essayait donc de s’en servir pour son spectacle. Entretemps, François-Xavier Roth m’avait commandé une nouvelle œuvre. Or, dans sa pièce Les Enfants du soleil, Caubère s’exclame : «Dans un pays que vous avez oublié, un roi malade est accablé de peine, regardez-le !» Puis commence la Passion selon saint Matthieu. Dans un moment d’égarement, j’ai choisi de retenir cette phrase et d’enlever la Passion, et j’ai décidé que ma nouvelle partition commencerait au même moment. Philippe Caubère m’a donné sa voix qui donc introduit Regardez-le.

 

Belle histoire !
Elle n’est pas finie : un an plus tard, Philippe Caubère s’installe au Rond-Point pour créer L’Epilogue à l’homme qui danse, dernier volet de son œuvre. Il me dit : «Regardez-le sera la musique de la pièce.» Ce ne fut pas une adaptationfacile, mais nous avons réussi. Et cette fois-là, même s’il s’agissait de se glisser dans l’univers de quelqu’un d’autre, je n’ai pas du tout souffert.

Comment est conçue l’œuvre ?
J’ai joué le jeu de la symphonie en quatre mouvements pour orchestre symphonique et dispositif électronique, avec un vrai scherzo. J’écris de la musique qui a l’air facile, ce qui n’est pas si facile ! Pour moi la technologie n’apporte rien : elle fait partie de mon langage. Regardez-le a été créé en juillet 2006 au festival Juventus, repris en Afrique du Sud, au Cirque d’hiver, à l’Opéra de Rouen, etc.

Un mot sur vos prochaines œuvres ?
Dans quelques mois aura lieu, en l’Église des billettes, la création d’une œuvre pour chœur et électronique que j’ai composée pour le choeur Intermezzo, intitulée Stella Maris d’après mon beau-père, Frédéric-Jacques Temple. J’ai aussi écrit un concerto pour piano et orchestre (et sans doute électronique !) pour Vanessa Wagner et François-Xavier Roth, qui sera créé en août 2010 en Normandie.

Propos recueillis par Christian Wasselin

 

* Voir, dans ce même numéro de Fantastique, notre entretien avec François-Xavier Roth.
** Le Mot du jour, du lundi au vendredi à 8h50.

 

Source : Radio France